Personnalité peu connue en Alsace, en-dehors de Soultz où se trouve le château d’Anthès (aujourd’hui un hôtel), le baron Georges-Charles de Heeckeren d’Anthès est certainement l’un des Français les plus connus en Russie !
Il est né le 5 février 1812 à Colmar où la famille possédait un hôtel particulier. Son grand père, Jean-Henri Anthès, avait créé une manufacture royale de fer-blanc, puis la manufacture royale d’armes blanches de Klingenthal. Anobli par Louis XV en 1731, il acquiert les seigneuries de Blotzheim et Brinckheim. En remerciement des nombreux services rendus à la commune de Soultz, celle-ci réquisitionna le château lors de la Révolution, empêchant ainsi sa vente. La famille, qui avait émigré, ne rentra en France qu’à l’avènement de l’Empire.
Georges-Charles est admis à Saint-Cyr en 1829. En 1930, il fait partie du détachement de l’Ecole Militaire qui soutient Charles X. Après l’exil de celui-ci, et fidèle à ses principes, il refuse de servir la Monarchie de Juillet et rentre en Alsace.
Après la mort de sa mère, il décide de reprendre du service, mais à l’étranger. Il se rend à Saint-Petersbourg après avoir obtenu du gouvernement l’autorisation de servir dans une armée étrangère sans perdre sa nationalité. Grâce à l’appui de l’oncle de sa mère, le prince de Hatzfeld (mais en tenant quand même à passer un examen), il entre dans le régiment des Chevaliers Gardes de l’Impératrice en tant que sous-lieutenant. Deux ans plus tard, il est nommé lieutenant, puis rejoint l’armée du Caucase.
Fréquentant les salons de Saint-Petersbourg, il rencontre Jacob Burchard van Heeckeren, ambassadeur des Pays-Bas. Heeckeren avait servi la France sous Napoléon, qui l’avait fait baron d’Empire. Sans héritier, et ne voulant pas voir s’éteindre son nom, il propose à Joseph Conrad d’Anthès, le père de Georges-Charles, d’adopter son fils et d’en faire son héritier. Après avoir obtenu l’accord de Guillaume Ier, roi des Pays-Bas, le 5 mai 1836, Georges-Charles devient baron de Heeckeren d’Anthès.
Dans ces mêmes salons, Georges-Charles rencontre Natalia Gontcharova, l’épouse de Pouchkine, à laquelle il fait une cour pressante. Pouchkine l’apprend et le menace verbalement. Le 10 janvier 1837, Georges-Charles épouse Ekaterina Gontcharova, la soeur de Natalia. Certains y voient une manoeuvre pour écarter les soupçons de Pouchkine et les relations entre les deux hommes s’enveniment. C’est une lettre injurieuse, envoyée par Pouchkine, qui allait déclencher l’affaire qui rendit d’Anthès célèbre en Russie.
Pouchkine ayant refusé de retirer ses propos injurieux, un duel fut décidé. Celui-ci eut lieu le 8 février 1837 (27 janvier d’après le calendrier julien en usage en Russie) à Novoï-Drevna, à 4 kilomètres de Saint-Pétersbourg. D’Anthès, l’insulté, tira le premier et atteignit Pouchkine à l’estomac. Ce dernier, qui n’en était pas à son premier duel, put tirer à son tour et blessa son adversaire au bras droit. Pouchkine décéda deux jours plus tard des suites de sa blessure.
Arrêté après le décès de Pouchkine, Georges-Charles passa en jugement, mais fut gracié par l’empereur compte tenu de la gravité des injures de Pouchkine. Il fut néanmoins jugé indésirable en Russie et reconduit à la frontière. Dans un premier temps, il gagne Berlin, où sa femme le rejoint, avant de rentrer à Soultz.
Conseiller général en 1842 (il présidera le Conseil en 1861), il est élu en 1848 à l’Assemblée Constituante, puis à l’Assemblée législative en 1849, avant d’être nommé sénateur par Napoléon III en 1852 (à 40 ans, il est le plus jeune sénateur français). Maire de Soultz, il contribua largement à la modernisation de la ville. Il sera également à l’origine des premières lignes ferroviaires en Alsace.
Après la défaite de 1870, il rentre à Soultz. Le 10 mai 1871 est signé le Traité de Francfort dont l’une des clauses permet aux Alsaciens-Lorrains de conserver la nationalité française s’ils quittent la région avant le 1er octobre 1872. D’Anthès choisit de conserver la nationalité française. Il réside alors principalement à Paris, où il se reconvertit dans les affaires (l’assurance, les banques, le commerce maritime et l’exportation) et fonde la Compagnie du Gaz de Paris. Il meurt le 2 novembre 1895 et est inhumé à Soultz.
Lors de son séjour à Saint-Pétersbourg, d’Anthès avait fait la connaissance d’Alexandre Dumas. Il n’est donc pas totalement impossible qu’au moment de nommer le héros du “Comte de Monte-Cristo“, Edmond Dantes, celui-ci se soit souvenu du jeune et fringuant officier.
Ce qui est sûr par contre, c’est qu’Henri Troyat, de l’Académie française, en a fait l’un des personnages principaux de son dernier roman, “La traque“.
Commentaires
Merci pour ces précisions.
Je lis le chapiteau vert de Ludmila Oulitskaïa. Une note en bas de page 68 m'a laissée perplexe. Il est dit, en effet, que Pouchkine a provoqué Edmond Dantes en duel.
Votre article m'a éclairée sur l'identité du duelliste dont je connais désormais l'histoire.
Elisabeth Servoin